Brevet 2010 - Corrigé de l'épreuve de
français
Beau temps. On a mis tous les enfants à cuire ensemble sur la
plage. Les uns rôtissent sur le sable sec, les autres mijotent au
bain-marie dans les flaques chaudes. La jeune maman, sous
l'ombrelle de toile rayée, oublie délicieusement ses deux gosses
et s'enivre, les joues chaudes, d'un roman mystérieux, habillé
comme elle de toile écrue...
- Maman !…
- Maman, dis donc, maman !…
Son gros petit garçon, patient et têtu, attend, la pelle aux
doigts, les joues sablées comme un gâteau...
- Maman, dis donc, maman...
Les yeux de la liseuse se lèvent enfin, hallucinés, et elle jette
dans un petit aboiement excédé :
- Quoi ?
- Maman, Jeannine est noyée.
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Jeannine est noyée, répète le bon gros petit garçon têtu.
Le livre vole, le pliant tombe...
- Qu'est-ce que tu dis, petit malheureux ? ta sœur est noyée ?
- Oui. Elle était là, tout à l'heure, elle n'y est plus. Alors je
pense qu'elle s'est noyée.
La jeune maman tourbillonne comme une mouette et va crier… quand
elle aperçoit la "noyée" au fond d'une cuve de sable, où elle
fouit comme un ratier...
- Jojo ! tu n'as pas honte d'inventer des histoires pareilles pour
m'empêcher de lire ? Tun'auras pas de chou à la crème à quatre
heures !
Le bon gros écarquille des yeux candides.
- Mais c'est pas pour te taquiner, maman Jeannine était plus là,
alors je croyais qu'elle était noyée.
- Seigneur ! il le croyait !!! et c'est tout ce que ça te faisait
?
Consternée, les mains jointes, elle contemple son
gros petit garçon, par-dessus l'abîme qui sépare une grande personne
civilisée d'un petit enfant
sauvage...
Fouir
: creuser.
Ratier : Chien qui chasse les rats.
I. Une famille à la
plage
1 - A quoi les enfants sont-ils
comparés dans le premier paragraphe ? justifiez votre réponse en
relevant le champ lexical dominant.
Les enfants sont comparés à
des aliments, des morceaux de viande en pleine cuisson. Le champ
lexical dominant est celui de la cuisson : "cuire", "rôtissent",
"mijotent", "bain marie".
2. Que font les
deux enfants avant que Jojo ne vienne voir sa mère ? Justifiez
vos réponses en citant le texte.
Avant que Jojo ne vienne voir sa mère, les deux
enfants s'amusent dans le sable. En effet, Jojo à "la pelle aux
doigts" et "les joues sablées lorsqu'il va voir sa mère pendant que
sa soeur "fouit comme un ratier".
3. a) Que fait la
mère dans le premier paragraphe ?
La mère lit un
roman.
b)
Par rapport à ses enfants, quelle est la conséquence de cette
activité ?
Elle ne surveille pas ses
enfants, elle les "oublie".
4. a) Dans la dernière phrase du premier paragraphe, le verbe
s'enivrer (ligne 3) a t-il son sens courant ? Justifiez votre
réponse.
Le verbe s'enivrer est à
prendre au sens figuré. Ce n'est pas l'alcool qui grise la mère mais
"un roman mystérieux", ce qui signifie qu'elle lit avec beaucoup de
plaisir et que ce roman l'arrache à la réalité comme pourrait le
faire l'alcool.
b) Quelles sont la nature et la
fonction du mot "hallucinés" (ligne 11) ?
"Hallucinés" est un adjectif
qualificatif mis en apposition. Il complète le nom "yeux". On peut
également dire que c'est une épithète détachée de ce nom.
c) Comment expliquez-vous l'emploi de "hallucinés"
par rapport à celui de "s'enivre" ?
Le participe passé « hallucinés » s'inscrit dans le
même champ lexical que « s'enivrer » : celui des émotions
fortes.
II. L'action
:
1. Quels sont les procédés utilisés pour souligner que le dialogue
entre la mère et l'enfant piétine tout d'abord ?
Le dialogue entre la mère et
son fils a du mal à s'engager : le fils doit répéter trois fois «
maman » (l. 7 et 10) et il « attend » (l. 8). La mère met un temps à
lever « enfin » les yeux (l. 11) et manifeste de l'irritation : «
elle jette dans un petit aboiement excédé : quoi ? » (l. 11-13). Son
impatience se manifeste dans cette façon de répondre à son
fils.
2. "Le
livre vole, le pliant tombe..." (ligne 15) :
a) Quelle
réaction de la mère cette phrase traduit-elle ?
Le livre échappe
brutalement des mains de la mère au point qu'il semble « voler », sa
chaise (le « pliant ») tombe : la mère est saisie par une émotion
soudaine et violente. b) « Le livre vole » : il s'agit d'une
métaphore, le livre étant ici comparé à un oiseau ; « le pliant
tombe » : il s'agit d'une métonymie, puisque c'est en réalité la
mère qui est sur la chaise qui tombe ; on peut remarquer aussi
l'antithèse entre le verbe « voler » et « tomber » (directions
contraires).
b) Nommez
deux procédés d'écriture utilisés pour souligner cette réaction.
La métaphore, la métonymie.
3. Alors..." (ligne
17)
a) Remplacez l'adverbe "alors"
de la ligne 17 par ue conjonction de coordination de même
sens.
On peut remplacer « alors » par « donc ».
b) Quel rapport logique ces deux mots expriment-ils
?
Il s'agit d'un rapport de
déduction, de cause à conséquence.
c) Quel aspect de la personnalité de Jojo apparaît ici
?
Jojo a l'air d'un
enfant placide, « patient et têtu » puisqu'il annonce la
noyade de sa sœur à sa mère avec un grand calme et beaucoup de
détachement : il expose calmement son raisonnement, qui est
méthodique (constat, conséquence) sans être débordé par ses émotions
; les virgules ralentissent la première phrase ; ses phrases sont
terminées par des points et non par des points
d'exclamation.
4. Précisez au moins deux reproches
exprimés par la mère contre son fils des lignes 20 à
25.
La mère formule deux
reproches à l'encontre de son fils : il l'importune (en l'empêchant
de nuire) et il n'aime pas sa sœur, voire même, est indifférent à ce
qui l'entoure.
5. "Seigneur ! il le croyait
!!! et c'est tout ce que ça te faisait ?" (ligne
25)
a) Comment la ponctuation est-elle utilisée dans cette phrase
?
La ponctuation est fréquente.
Remarquons le triple point d'exclamation, qui est même incorrect
dans la langue écrite.
b) Quel est le sentiment de la mère ainsi souligné
?
Cet usage de la ponctuation
souligne l'indignation de la mère.
III. Une scène de
comédie :
1.
Montrez que ce texte se rattache au genre théâtral. Montrez ensuite en
quoi il diffère. Justifiez votre réponse en vous appuyant sur l'ensemble du
texte.
Le dialogue occupe la plus
grande partie du texte (l. 5 à 25). La description de la scène, de
par sa brièveté (la première phrase est nominale) s'apparente à des
didascalies, qui donnent des indications sur les attitudes des
acteurs et sur ce qui se trouve sur la scène : l'expression « on a
mis » (l. 1) renforce l'idée d'une mise en scène. Les réactions de
la mère s'accompagnent de « jeux de scène » : le livre qui vole, la
chaise qui tombe, elle tourbillonne, joint les mains … Mais il
s'agit d'un récit dans la mesure où le narrateur nous fait part des
pensées de la mère : son plaisir de lire (« délicieusement » l. 3),
sa déception devant son fils qui se comporte comme « un petit enfant
sauvage » (l. 27).
2 - Lignes 18-19 : a) A quoi
la mère est-elle comparée ? A quoi la
fille est-elle comparée ?
La mère est comparée à
une mouette et la fille à un chien.
b)
Quel est le point commun entre ces deux deux comparaisons ?
Elles sont toutes les deux
comparées à des animaux.
3. Qu'y a-t-il de comique dans la façon dont Jojo annonce
à sa mère la noyade de Jeannine ?
Ce qui est comique ici est
que son raisonnement a l'air logique (constat, conséquence), alors
qu'en réalité il ne l'est pas du tout : la noyade n'est pas la seule
chose qui puisse expliquer que sa sœur ne soit plus là. Il envisage
immédiatement le pire, au lieu de dire à sa mère qu'il ne voit plus
sa sœur. D'autre part, le comique réside dans le contraste entre son
calme et l'annonce tragique de la mort de sa sœur.
IV. Pour conclure
:
En vous appuyant sur l'ensemble
de vos réponses, indiquez si la mère vous paraît correspondre
totalement à l'expression "grande personne civilisée" et l'enfant à
l'expression "petit enfant sauvage". Justifiez votre réponse.
La mère apparaît incapable de
dominer ses réactions : d'abord « enivrée », « halluciné[e] » par sa
lecture, elle est « excédé[e] » par son fils, puis éprouve une
violente émotion qui la fait ressembler davantage à un oiseau affolé
qu'une femme. Sa colère d'avoir été inutilement dérangée est tout
aussi passionnée. Au contraire, l'enfant est calme et posé,
réfléchi. Il est sincère, ne cherche pas à s'amuser. Ainsi, nous
pouvons assister à un renversement : c'est la mère qui se comporte
comme un enfant, et son fils qui paraît endosser le rôle de
l'adulte.
Réécrivez le texte des lignes 1 à
13 en utilisant le système des temps du passé (plus-que-parfait,
imparfait, passé simple).
Beau temps. On avait mis tous les enfants à cuire
ensemble sur la plage. Les uns rôtissaient sur le sable sec, les
autres mijotaient au bain-marie dans les flaques chaudes. La jeune
maman, sous l'ombrelle de toile rayée, oubliait délicieusement ses
deux gosses et s'enivre, les joues chaudes, d'un roman mystérieux,
habillé comme elle de toile écrue... - Maman !… - Maman, dis
donc, maman !… Son gros petit garçon, patient et têtu, attendait,
la pelle aux doigts, les joues sablées comme un gâteau... -
Maman, dis donc, maman... Les yeux de la liseuse se levèrent
enfin, hallucinés, et elle jeta dans un petit aboiement excédé
: - Quoi ?
Dictée :
La mer est partie si loin qu'elle ne
reviendra peut-être plus jamais ?… Si, elle reviendra, traîtresse et
furtive comme je la connais ici. On ne pense pas à elle ; on lit sur le
sable, on joue, on dort, face au ciel, jusqu'au moment où une
langue froide, insinuée entre vos orteils, vous arrache un cri
nerveux : la mer est là, toute plate, elle a couvert ses vingt
kilomètres de plage avec une vitesse silencieuse de serpent. Avant
qu'on l'ait prévu, elle a mouillé le livre, noirci la jupe
blanche, noyé le jeu de croquet et le tennis. D'après Colette, « Partie de pêche
», Les Vrilles de la vigne (1908).
Sujet :
L'utilisation d'un dictionnaire
de langue française est autorisé.
Un peu plus tard, le père rejoint
sa famille à la plage. Un dialogue s'engage entre les trois
personnages : la mère explique à son époux ce qui vient de se
passer; Jojo proteste; le père tente de les réconcilier. Ecrivez ce
dialogue.
Critères de réussite : - Comme
dans le texte de Colette, vous ferez alterner des passages narratifs
et des temps de dialogue. - Vous respecterez les caractéristiques
de rédaction et de présentation d'un dialogue. - A
l'intérieur du dialogue, les personnage devront raconter, expliquer
et argumenter. - Vous veillerez à la cohérence par rapport au
texte de départ - Vous veillerez à la correction de la
langue.
Le pauvre Jojo a rejoint sa soeur et la mère encore tremblante a
repris sa lecture. Mais les lignes échappent à son regard, son
attention glisse, le charme est brisé. Au bout de quelques
minutes, elle jette négligemment le volume et sort une cigarette
de son sac. Elle passera la prochaine heure les yeux fixés sur ses
enfants, de cigarette en cigarette.
Vers 16 heures une
forme vibrante apparaît dans la chaleur du chemin qui serpente entre
les dunes. C'est le père, pour les deux enfants, c'est surtout
le ravitaillement.
- Papa ! hurlent-ils en se précipitant sur le panier.
- Rincez-vous les mains d'abord ! lance sèchement la mère. L'ordre
est net et le ton sans ambiguïté. Les deux enfants obtempèrent et
se précipitent vers une petite mare entre les rochers.
- C'est maintenant que tu arrives ? Ça fait une heure que je
t'attends !
- J'ai rencontré Raymond, on a un peu bavardé, répond le père à
peine surpris par la froideur de sa femme. Quelque chose ne va pas
?
- Tu bavasses avec tes amis pendant que moi je me coltine les
gosses !
- Prends ton livre, détends-toi, les gosses n'ont pas besoin de
nous ici.
- Je suis plus d'humeur à lire. Jojo est venu tout à l'heure et,
tiens-toi bien, il m'a tranquillement annoncé que sa soeur s'était
noyée !
- Quoi ?
- Je ne sais pas ce qu'il a dans la tête ce petit, il ne tourne
pas rond, ça ne peut venir que de toi, ajoute-t-elle avec
perfidie.
- D'abord tu vas commencer par te calmer et ensuite on va posément
demander des explications à Jojo sur son comportement.
Les deux enfants sont de retour, ils ont ravalé leur enthousiasme,
ils ont bien compris que leur génitrice n'était pas d'humeur à
discuter.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire Jojo, tu fais des
frayeurs à maman ?
- Mais j'ai rien fait de mal, s'indigne le garçonnet.
- Tu vois, il n'a aucune conscience ce gamin ! lance la mère avant
de tirer nerveusement sur sa cigarette.
- Laisse-moi
l'interroger d'abord !
Et saisissant les deux mains de son fils :
- Jojo pourquoi as-tu dit à maman que ta soeur s'était noyée ?
- Je me suis trompé, je ne l'ai plus vue alors j'ai cru qu'elle
s'était noyée. Je peux avoir un chou ?
- Et bien voilà, c'est tout simple ! Conclut le père en se
retournant vers femme.
- C'est tout ? interroge la mère avec effarement.
- Fais un bisou à maman et demande-lui pardon de lui avoir fait
peur.
L'enfant s'exécute, mais la mère reste froide :
- Pas de chou à la crème !
L'enfant éclate en sanglots, le
père bouillonne. Prendre le parti de son fils contre sa femme
serait une erreur éducative, alors il se tait. Mais il faut
qu'il trouve quelque chose pour éloigner ses enfants.
- J'ai vu des crabes dans le petit bassin là-bas, allez en
attraper quelques-uns.
- Tu viens avec-nous ? marmonne la grande, la bouche pleine de
crème sous le regard envieux de son frère.
- Allez-y, je vous rejoins tout à l'heure,
promet le père.
Les deux enfants s'éloignent. Le petit a emporté son seau, la
perspective d'une pêche miraculeuse lui fait oublier son goûter.
- Je ne suis pas d'accord avec ta décision, commence le père sur
un ton qu'il voudrait calme mais qui dissimule mal son
exaspération.
- Évidemment ! Laxiste comme tu es...
Le père explose :
- Ne commence pas s'il te plait ! Le gamin s'est trompé, c'est
tout ! Il ne voit plus sa soeur, il s'inquiète c'est normal !
C'est une réaction très positive et il a eu parfaitement raison de
venir te voir.
- Il n'avait pas l'air très inquiet ! Il a bien attendu deux
minutes avant de me dire ses inepties. Il a attendu que je lève
les yeux de mon livre.
- Sa réaction n'était peut-être pas adaptée, mais il n'a pas voulu
te contrarier, tu es toujours tellement sur les nerfs !
- Et voilà ! C'est de ma faute ! Je suis une hystérique c'est ça ?
Alors tu n'as qu'à t'occuper de tes gosses si t'es pas content !
La
discussion tourne court. Le père renonce. Il a bien compris que rien
de bon ne sortira de ce dialogue. Il lève les yeux vers ses
enfants et lance simplement : "Bon... ben à plus tard..." Puis il
rejoint les pêcheurs en herbe. Jojo est fier de lui montrer sa
première prise : un gros Bernard l'Hermite dans une coquille trop
étroite. L'animal captif ne parvient même plus à s'y dissimuler. Le
père est rêveur. Il est de la même humeur que le
crustasé : coincé bien à l'étroit dans une coquille qu'il
pourtant choisi. Mais la bonne humeur de Jojo et les
rires de Jeannine l'apaisent et bientôt il oublie
l'accès d'humeur de sa femme. La partie de pêche peut
commencer.
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