Brevet 2011 - Corrigé de l'épreuve de français
Le texte - Les questions - Corrigé des questions - la réécriture - La dictée - La rédaction

Le texte 
Quelques années après la seconde guerre mondiale, la narrateur évoque son séjour dans un camp de prisonniers et se souvient avec tendresse de son ami Robert, avec lequel il partageait le même block.

>>Un jour, par exemple, il était entré dans le block [1] avec l'attitude de quelqu'un qui donne le bras à une femme. Nous étions écroulés dans nos coins, sales, écœurés, désespérés, ceux qui n'étaient pas trop claqués geignaient, se plaignaient et blasphémaient à haute voix. Robert traversa la baraque, continuant à offrir le bras à la femme imaginaire, sous nos regards médusés, puis fit le geste de l'inviter à s'asseoir sur son lit. Il y eut, tout de même, dans le marasme général, quelques manifestations d'intérêt. Les gars se soulevaient sur un coude et regardaient avec ahurissement Robert faire la cour à sa femme invisible. Tantôt il lui caressait le menton, tantôt il lui baisait la main, tantôt il lui murmurait quelque chose à l'oreille et il s'inclinait de temps en temps devant elle, avec une courtoisie d'ours ; à un moment, apercevant Janin, [...] qui se grattait les poils, il s'approcha de lui et lui jeta de force une couverture [...].

Quoi ? piailla Janin. Qu'est-ce qui te prend ? J'ai plus le droit de me gratter ?
- Un peu de tenue, nom de nom, gueula Robert. Il ya une grande dame parmi nous.
- Hein ? Quoi ?
- T'es fou ?
- Quelle dame ?
- Naturellement, dit Robert entre ses dents. Ca ne m'étonne pas... Y en a parmi vous qui font semblant de ne pas la voir, n'est-ce pas ? Ca leur permet de rester sales entre eux...

>>Personne ne dit rien. Il était peut-être devenu fou, mais il avait encore à ce moment-là des poings solides, devant lesquels les prisonniers de droit commun [2] eux-mêmes se taisaient respectueusement. Il revint auprès de sa grande dame imaginaire et lui baisa tendrement la main. Puis il se tourna vers les copains complètement ahuris, qui le regardaient, la gueule ouverte :
- Bon. Alors je vous préviens : à partir d'aujourd'hui, ça va changer. Pour commencer, vous allez cesser de pleurnicher. Vous allez essayer de vous conduire devant elle comme si vous étiez des hommes. Je dis bien "comme si", - c'est la seule chose qui compte. Vous allez me faire un sacré effort de propreté et de dignité, sans ça, je cogne. Elle ne tiendrait pas un jour dans cette atmosphère puante, et puis, nous sommes français, il faut se montrer galants et polis. Et le premier qui manque de respect, qui lâche un pet, par exemple, en sa présence, aura affaire à moi...

>>On le regardait, bouche bée, en silence. Puis quelques-uns commencèrent à comprendre. Il y eut quelques rires rauques, mais tous nous ressentions confusément qu'au point où nous en étions, s'il n'y avait pas une convention de dignité quelconque pour nous soutenir, si on ne s'accrochait pas à une fiction, à mythe, il ne restait plus qu'à se laisser aller, à se soumettre à n'importe quoi et même à collaborer. A partir de ce moment-là, il se passa une chose vraiment extraordinaire : le moral du block remonta soudain de plausieurs crans.

Romain Gary, Les Racines du ciel (Gallimard), 1954

[1] Dans le langage du camp, baraque de détenus.
[2] Prisonniers condamnés pour un délit et non pour leurs opinions ou leurs croyances, ni comme prisonniers de guerre.


   

 Corrigé :

I. Des prisonniers

1. Nous étions écroulés dans nos coins, sales, écœurés, désespérés, ceux qui n'étaient pas trop claqués geignaient, se plaignaient et blasphémaient à haute voix.
a. On peut placer un point après le mot « désespérés ».
b. Les deux énumérations sont : « sales, écœurés, désespérés » et « geignaient, se plaignaient et blasphémaient ».
c. Le narrateur cherche à insister sur l’état lamentable des prisonniers, leur comportement, leur condition de vie dans les camps.

2.
a. « désespérés » est formé du radical « espérés », qui vient du nom espoir, et du préfixe « dé » qui indique la négation.
b. Il s’applique à l’état d’esprit des prisonniers car ceux-ci ne semblent plus avoir d’espoir en étant prisonniers dans les camps.

3. Avant l’intervention de Robert, les prisonniers agissent presque comme des animaux, ils sont sales, sans retenue, ils se plaignent et disent des grossièretés, sont sans gêne. Les éléments sont « sales », « geignaient, se plaignaient, et blasphémaient », « cesser de pleurnicher », Robert leur dit d’agir « comme si » ils étaient des hommes, et leur demande de faire un « sacré effort de propreté et de dignité » ; « manque de respect », « lâche un pet ».

II. Un homme plein de ressources

4. Robert fait croire en la présence d’une femme en faisant semblant d’arriver avec elle (« mimant l’attitude d’un homme qui donne le bras à une femme »), de s’adresser directement à elle (« faire la cour à sa femme invisible », « lui murmurait quelque chose à l’oreille »), de la toucher (« caressait le menton, baisait la main »)

5.
a. Le complément circonstanciel de manière est « avec une courtoisie d’ours ».
b. « une courtoisie d’ours » signifie qu’il est maladroit, un peu bourru.
6. Les camarades de Robert l’écoutent sans protester car ils sont trop surpris pour pouvoir dire quoique ce soit, « avec ahurissement », pensent qu’il a sombré dans la folie (« il était peut-être devenu fou ») mais ils ont surtout peur de lui car il pourrait les frapper (« des poings solides »).

7.
a. Nous sommes français donc il faut se montrer galants et polis.
b. Le rapport logique et la conséquence.
c. La nature grammaticale de « donc » est conjonction de coordination.

8.
a. Les deux niveaux de langues présents sont les niveaux de langue courant et familier.
b. Il mêle les niveaux de langue dans son discours car il veut bien parler devant la dame invisible mais ne peut s’empêcher de parler avec un vocabulaire familier en s’adressant aux prisonniers.

III. Une fiction bénéfique

9. Les étapes sont :
La surprise : « avec ahurissement » / ils parlent fort et s’étonnent « Quoi ? piailla Janin »
L’incompréhension : « Il était peut-être devenu fou » / Ils se taisent « Personne ne dit rien »
L’étonnement « on restait bouche bée »
La prise de conscience « Puis, quelques uns commencèrent à comprendre » / ils rient et se détendent « rires rauques »
Acceptent cette « convention de dignité ».

10. Cette fiction de la « grande dame imaginaire » protège le groupe du « laisser-aller », de la soumission ( « se soumettre à n’importe quoi ») et surtout de la collaboration avec les allemands par désespoir (« et même à collaborer »).

11.
a. La fonction de ces deux propositions subordonnées conjonctives est complément circonstanciel de condition du verbe « rester ».
b. « une convention de dignité » : convention signifie un accord tacite, entendu, entre deux partis (Robert et les prisonniers) afin de rester dignes, propres, pendant leur détention dans les camps.


Réécriture :
Sujet : Réécrivez le texte suivant comme si c'était Robert qui racontait, en remplaçant "il" par "je" et en remplaçant "Nous" par "Ils" : "Un jour, par exemple, il était entré dans le block mimant l’attitude d’un homme qui donne le bras à une femme. Nous étions écroulés dans nos coins, sales, écoeurés, désespérés (…). Robert traversa la baraque, continuant à offrir le bras à la femme imaginaire, sous nos regards médusés, puis il fit le geste de l’inviter à s’asseoir sur son lit."

"Un jour, par exemple, j'étais entré dans le block mimant l’attitude d’un homme qui donne le bras à une femme. Ils étaient écroulés dans nos coins, sales, écoeurés, désespérés […]. Je traversai la baraque, continuant à offrir le bras à la femme imaginaire, sous leurs regards médusés, puis je fis le geste de l’inviter à s’asseoir sur mon lit."


Dictée :
Je dois vous dire aussi que j'ai contracté, en captivité, une dette envers les éléphants dont j'essaye seulement de m'acquitter. C'est un camarade qui avait eu cette idée, après quelques jours de cachot - un mètre dix sur un mètre cinquante - alors qu'il sentait que les murs allaient l'étouffer, il s'était mis à penser aux troupeaux d'éléphants en liberté - et, chaque matin, les Allemands le trouvaient en pleine forme, en train de rigoler : il était devenu increvable.

Romain Gary, Les racines du ciel (Folio-Gallimard), 1954.


La rédaction

Sujet : Un ami ou un adulte de votre entourage vous a convaincu de changer votre comportement. Vous raconterez cette expérience en rappelant d'abord comment vous vous comportiez puis comment votre interlocuteur s'y est pris pour vous amener à changer.

L'utilisation d'un dictionnaire de langue française est autorisé.

>>J’ai toujours été studieux, travailleur, discipliné, respectueux de mes maîtres et de l’enseignement qu’ils me dispensaient. J’ai toujours été jalousé, moqué, vilipendé, mis à l’écart par mes camarades qui me considéraient jusqu’à lors comme une sorte de traître. Je vivais une existence triste et solitaire, victime d’une malédiction que nul, croyais-je alors, ne pourrait jamais briser. C’est alors que Momo est rentré dans ma vie.

>>A la rentrée de septembre, le hasard et l’ordre alphabétique avaient assis à côté de moi un gaillard imposant, crêté, percé et tatoué qui avait fait voeu de fainéantise et qui mâchait en permanence un énorme chewing gum. D’abord indifférent à ma présence, Momo a rapidement réalisé qu’il était assis à côté du premier de la classe et, dès les premiers résultats, j’ai senti son hostilité grandir.

>>Dès que les professeurs avaient le dos tourné, c’était des taquineries et des vexations sans cesse renouvelées, coups de coude, tape derrière la tête, stylos “empruntés” et jamais rendus... Evidemment j’aurais pu me plaindre, dénoncer mon bourreau, mais ma impopularité au sein de la classe n’aurait fait que grandir et j’ai préféré me taire et subir en silence.

>>Les semaines passèrent et au fur et à mesure que les résultats tombaient - toujours excellents malgré mes conditions de travail - l’exaspération de Momo croissait. Désormais le harcelement se poursuivait dans la cour de récréation et atteignit son apogée après un ultime vingt en maths. Ce jour la Momo m’avait saisi par le col et soulevé de terre. Il leva le poing sur mon visage, sembla hésiter, plus ému que d’habitude, finalement il me reposa au sol :
- Ecoute, ça peut plus durer

>>Le ton me surprit, il reprit :
- Ca peut plus durer, faut que tu fasses quelque chose...

>>Je restais sans voix. Alors devant mon incompréhension :
- Tes résultats... c’est pas possible... tu vois pas que ça nous met à cran ?... T’es une tête à claque, c’est entendu, mais je t’aime bien quand même parce que tu m’as jamais balancé alors je vais te faire une fleur. Si tu divises tes note de moitié, j’arrête tout et on devient potes. Allez, t’as le droit à 11 sur vingt, 12 tout au plus, mais je te préviens, au prochain 15 je cogne, c’est compris ?

>>J'acquiesçai sans faire le moindre commentaire. On en resta là.

>>Je tins parole et lui aussi. Dans mon zèle plus jamais je ne rendis aucun devoir. Je truffais mes contrôles d’erreurs et à chaque zéro que je recevais, Momo m’adressait un sourire complice. Bien sûr je fus rapidement convoqué chez le principal avec mes parents. Devant la confusion de mes explications on décida même de m’envoyer chez le psy et je dus jouer l’élève dépressif, rôle que je connaissais parfaitement bien mais qui ne me correspondait plus du tout.

>>Je n’oublierai jamais mon ami Momo. Il m’avait sauvé, sans lui jamais je n’aurais eu le courage de devenir ce que je suis aujourd’hui : un cancre épanoui, bien dans sa classe, aimé de tous !

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