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Parler moins en parlant mieux, écrire moins en écrivant mieux (Sujet)

 

Kevin, 14 ans

Y’a deux façon de parler dans la vie, y a quand tu parles normal dans la cité et y a comme les bourges i parlent.


Comme on parle « normal » nous, c’est pas du tout comme les bourges i disent « parler normal », c’est notre façon de parler à nous qui est parfois bien, parfois pas bien. C’est bien quand y’en a qui disent des trucs de fous où t’es mort de rire et c’est pas bien quand y’en a qui arrivent même pas à dire ce qu’i pensent parce qu’i’s ont pas assez de mots dans la tête, et parce qu’i disent un truc et toi tu comprends du mal et en fait c’est pas c’qu’i voulaient dire parce qu’i’s ont que des gros mots dans la bouche du style « bâtard », « nique ta mère », même quand i veulent dire un truc normal.


Et en plus y savent même pas c’que ça veut dire les mots qu’i’s utilisent, l’histoire des mots et tout ça ; du style i disent « eh ! tu m’saoules » quand ça leur casse la tête et y savent même pas que « tu m’saoules » ça veut dire boire du vin et tout ça ; ou alors y disent « eh ! trop il abuse » pour dire qu’il exagère et i savent même pas qu’abuser c’est quand tu veux profiter d’un truc comme un bâtard, du genre quand t’abuses sexuellement, ou quand y’en a un qu’a des gâteaux, il t’en donne un, et toi t’arrête pas de le saouler pour en avoir encore, là on peut dire « t’abuses ».


Comme nous on dit que les bourges parlent en vérité c’est quand quelqu’un parle pas comme nous, comme quand ça parle dans les bouquins de théâtre ou comme quand les docteurs parlent de maladies ou comme les bourges parlent au centre ville quand tu les vois là « bonjour ma chère» et tout ça. En vérité pour nous y a plein monde qui parle comme ça, tous ceux qui viennent pas d’un quartier.

Mais, la vie de ma mère, moi j’aime bien imiter les bourges, on dirait qu’i viennent d’une autre planète : « mais j’vous en prie ma chère » et tout ça là. Quand tu le fais bien ça déchire trop, ça leur fout la honte. T’sais c’est comme si tu parlerais dans une autre langue. Les profs ils le savent qu’on aime bien ça, foute la honte aux bourges, alors i nous laissent faire pour qu’on apprenne à parler bourge, i nous aident même.

Normalement quand tu sors du collège après la troisième tu devrais savoir aussi parler comme les bourges comme ça t’es pas obligé de faire ta vie au quartier si t’as pas envie et pi tu trouves plus facilement du boulot si tu sais un peu parler bourge.


Mais j’vais t’dire y’en a plein qui s’en foutent de ça, de plus tard et tout ça. Mais j’te jure même si tu t’en fous de plus tard c’est quand même bien d’essayer de parler bourge parce que y a plein de mots de fous que tu peux utiliser au quartier après, du genre « va niquer tes morts va-nu-pieds, bouffon, manant, que la terre s’ouvre sous tes pieds et t’engloutisse toi et ta famille » et d’autres trucs.
 

Kevin, 24 ans

Il existe deux types de langage selon les collégiens des quartiers dits « sensibles »: le langage courant et le « langage des bourges ».

Leur langage courant n’est pas du tout ce que la plupart des gens appelle « langage courant », c’est la langue des cités, avec ses grandeurs et ses misères ; grandeurs dans l’inventivité et la truculence de certains de ses experts ; Misères, dans l’incapacité que la plupart des autres ont de tout exprimer en raison de la pauvreté de leur vocabulaire, des raccourcis qui aplanissent tout et empêchent toute nuance, de la banalisation de la violence verbale qui l’accompagne souvent.

De plus c’est une langue qui ignore souvent son passé : un sens métaphorique ou dévié d’un mot existant dans le « français académique », peut, par exemple, se substituer au sens premier (« saouler » mis pour « agacer » n’est plus synonyme d’ « enivrer », « abuser » mis pour « exagérer » ne signifie plus « tirer profit à outrance ») mais très souvent les élèves n’ont pas conscience qu’il s’agit d’une substitution et ne maîtrisent pas le terme dans tout son champ sémantique.

Pour ces collégiens, le « langage des bourges » regroupe ce que l’on appelle généralement la langue parlée, courante ou soutenue, ainsi que le langage littéraire, les jargons spécialisés, etc. Bref, tout ce qui ne relève pas de leur langue.

Il n’est pas honteux pour l’un d’entre eux d’utiliser ce langage comme on parlerait une langue étrangère, sitôt qu’il ne s’agit que d’une seconde langue, il peut même être valorisant de singer la langue des « bourges ». C’est là la marge de manœuvre des enseignants.



L’objectif en fin de troisième est que les élèves maîtrisent au mieux cette « seconde langue » afin de pouvoir communiquer en français de la façon la plus universelle possible et de s’ouvrir au « monde extérieur » pour s’intégrer dans la société.

Cependant cet objectif ne les motive pas toujours, il faut alors parvenir à leur faire comprendre qu’une bonne maîtrise du langage « académique » conduit aussi - même si ce n’est pas l’objectif recherché par les enseignants - à un enrichissement du langage des cités.


 

Sujet :

Etes-vous d’accord avec Kevin quand il essaye de vous convaincre qu’une bonne maîtrise de langue permet de s’ouvrir au monde extérieur et que c’est un enrichissement ? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur des exemples précis. Vous vous efforcerez d’adopter un langage proche de celui de Kevin à 24 ans. Vous structurerez votre texte en paragraphes et vous ferez, au préalable, un brouillon