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Sujet de brevet blanc : Jorge Semprun, Adieu, vive clarté.

Jorge Semprun, écrivain d'origine espagnole, raconte comment, adolescent, à la suite de la guerre d'Espagne, il a été obligé de s'expatrier à Paris. Interne au lycée Henri IV, éloigné de sa famille, le jeune garçon apprécie particulièrement la poésie française.

     En réalité, j'aurais pu demeurer le reste de l'après-midi figé sur place, à murmurer des vers des Fleurs du mal (1) comme un demeuré, donc. Des pigeons piégés par mon immobilité de statue seraient venus se poser sur mon épaule, y déposer leurs fientes. Vers le soir, une passante, apitoyée par ma solitude, par mes vêtements détrempés et souillés, inquiète et à la fois charmée de me voir proférer interminablement des alexandrins, d'une voix de plus en plus éteinte, brisée, m'aurait recueilli chez elle, dans un appartement plein de fleurs, d'odeurs légères et de divans profonds.
     Quelques minutes plus tôt, ce jeudi après-midi (2), j'étais entré dans une boulangerie qui se trouvait alors au point d'oblique convergence des rues Racine et de l'Ecole-de-Médecine. J'y avais demandé un croissant, ou un petit pain, je ne sais plus quelle minime nourriture terrestre. Mais la timidité, d'un côté (qui m'a été naturelle, parfois paralysante, que seules la volonté, l'expérience et l'apparat de la reconnaissance sociale (3) m'ont permis de dissimuler, sinon de vaincre totalement, et qui m'a laissé des traces phobiques : l'horreur du téléphone, par exemple, la difficulté d'entrer tout seul dans un lieu public), et, d'un autre côté, mon accent, qui était alors exécrable j'ai déjà dit que le français était pour moi presque exclusivement une langue écrite ont fait que la boulangère n'a pas compris ma demande. Que j'ai réitérée (4), de façon encore plus balbutiante, probablement, en sorte qu'elle fut encore moins compréhensible.
     Alors, toisant (5) le maigre adolescent que j'étais, avec l'arrogance des boutiquiers et la xénophobie douce comme on dit d'une folie inoffensive qui est l'apanage (6) de tant de bons Français, la boulangère invectiva à travers moi les étrangers, les Espagnols en particulier, rouges (7) de surcroît, qui envahissaient pour lors la France et ne savaient même pas s'exprimer.

Jorge Semprun, Adieu, vive clarté.

1. Les Fleurs du mal : recueil de poèmes de Baudelaire.
2. ce jeudi : le jeudi était le jour de congé des élèves, équivalent à notre mercredi.
3. l'apparat de la reconnaissance sociale : Jorge Semprun est devenu un homme politique et un écrivain reconnu.
4. réitérée : répétée.
5. toisant : regardant avec mépris.
6. qui est l'apanage de : qui est le propre de , la caractéristique de...
7. rouges : couleur symbolique des partis communistes révolutionnaires.


QUESTIONS BREVET BLANC

I. UN RECIT A LA PREMIERE PERSONNE 4.5 points


1. a. Quel pronom personnel désigne le narrateur dans le texte ?
b. Quelle est l'identité du narrateur ? 1 point
2. Dans la phrase "J'avais demandé ... terrestre" (lignes 10-11)
a. Quels sont les temps des verbes? Indiquez la valeur de chacun. 2 points
b. Etablissez la différence entre les deux "je". 0,5 point
3. A quel genre ce récit appartient-il ? Justifiez votre réponse. 1 point

II. UN ADOLESCENT SOLITAIRE 6 points


1. a. Qu’a fait l’ adolescent ce jeudi après-midi ? 1 point
b. Placez ces activités dans l'ordre chronologique et relevez l'indicateur de temps qui vous a permis de répondre. 0.5 point
2 a. Quel personnage a-t-il rêvé de rencontrer ? 0,5 point
b. Relevez les adjectifs et les participes qui caractérisent ce personnage. 0,5 point
c. "Aurait recueilli" (ligne 6): A quel mode et à quel temps ce verbe est-il conjugué ? Quelle est sa valeur? 1 point
3. "Balbutiante" (ligne 18)
a. Expliquez le sens de ce mot.
b. Quel trait de caractère illustre-t-il ? 1 point
4. A partir de vos réponses précédentes, rédigez le portrait de l'adolescent . 1,5 point

III. UN ADOLESCENT ETRANGER 4.5 points

1. Pourquoi la boulangère ne comprend-elle pas la demande du garçon ? 0,5 point
2. Relevez les termes, dans les lignes 19 à 23, qui montrent la réaction négative de la boulangère.
1 point
3. En s’attaquant à l’adolescent, qui vise-t-elle en réalité ? 0,5 point
4. a. Relevez les propositions subordonnées relatives coordonnées qui expriment les reproches de la boulangère. 0,5 point
b. Remplacez-les par des propositions subordonnées conjonctives de sens équivalent dont vous préciserez la fonction. 1 point
5. En quoi l’expression "bons Français" est-elle ironique ? 1 point

EXERCICE DE REECRITURE 4 points

Réécrivez les lignes 3 à 7 ("Vers le soir... divans profonds") en remplaçant "une passante" par "deux passants".


DICTEE
Un adolescent en pension
Deux religieuses s'occupaient d'inventorier mes affaires : chemises, chaussettes, caleçons. Précisément, c'était un caleçon que la plus âgée des deux soeurs avait soulevé, pour l'observer à la lumière du jour tombant.
Une sensation violente et amère m'a envahi. Une bouffée de honte mêlée d'indignation.
Je l'ai détestée de toutes mes forces, soudain. Elle avait un visage paisible, pourtant, lisse malgré l'âge vénérable. Elle était chargée de veiller sur le linge des internes, au lycée Henri IV. Elle s'acquittait de cette tâche avec une autorité souriante. Je n'ai pas pu m'empêcher de la haïr.
Jorge SEMPRUN